Fermeture de la librairie OMEISHA (Tokyo)

Lundi 28 février 2022, la librairie OMEISHA a fermé ses portes. 
Les FLT tiennent à remercier au nom de l’ensemble des familles du lycée de Tokyo le propriétaire M. Okuyama et toute son équipe.
Le texte ci-dessous est tiré du post Facebook du 1er mars 2023 de François Roussel, conseiller des français de l’étranger et conseiller spécial des FLT, que nous remercions de partager avec nous l’histoire de la librairie des français, francophones et francophiles et cet hommage à son propriétaire.
Fondée en 1947 par le père de M. Okuyama (dans le quartier de Yotsuya à l’origine), la librairie OMEISHA a porté haut et fort pendant 75 ans les couleurs de la langue et de la culture françaises à Tokyo. Mais elle n’aura pas survécu à la baisse du nombre d’apprenants du français au Japon, à la concurrence des librairies en ligne, et aux cours à distance pendant la crise sanitaire, qui a vu les usagers déserter ses deux succursales situées à l’Athénée français et à l’Institut français (librairie Rive Gauche), fermées fin octobre dernier.
À son âge d’or dans les années 60-70, quand toute une partie de la jeunesse japonaise vibrait pour Sartre, Beauvoir, Alain Delon et Aznavour (pour faire vite), la librairie OMEISHA, en son quartier de Fujimi (« d’où l’on voit le Fuji »), était le cœur battant d’un véritable « village de la langue française » en plein centre de Tokyo : à deux pas du Lycée français (alors « Lycée franco-japonais de Tokyo ») depuis la création de celui-ci (1967) jusqu’à son déménagement en 2012, mais aussi de deux célèbres écoles japonaises où l’on enseignait (et où l’on enseigne toujours) la langue française dès le primaire : l’école Gyôsei (côté garçons) et l’école Shirayuri (côté filles).
Les bureaux de l’APEF (l’association qui créera en 1981 l’examen japonais de certification en français « futsuken », bien connu de tous les apprenants japonais de la langue française) se trouvaient alors dans l’immeuble voisin de la librairie, et il y avait aussi non loin de là une petite école privée de langue française (aujourd’hui disparue) et les bureaux du siège japonais d’une grande société française de pneumatiques (toujours bien là). Les autres navires amiraux de la langue et de la culture françaises à Tokyo : l’Athénée français (fondé en 1913), la Maison Franco-Japonaise (de sa fondation en 1924 jusqu’à son déménagement en 1995), et l’Institut français (1952-)(alors « Institut franco-japonais de Tokyo »), sans être aussi proches, se trouvaient aussi à portée de pas.
L’ancien parent d’élèves se souvient des piles de livres à chaque rentrée estampillés du nom de la classe correspondante (listes des lectures obligatoires), du seul endroit de Tokyo où l’on pouvait trouver le Graal : des « cahiers à grands carreaux » (!) , et de la gentillesse avec laquelle M. Okuyama avait accepté d’accorder une réduction à tous les membres de l’Association des Familles (AF), tradition conservée jusqu’à aujourd’hui pour les membres de l’association FLT-fapée qui prit sa suite.
À M. Okuyama, 70 ans, qui a tenu boutique tous les jours jusqu’ici, même le dimanche, sans jamais prendre de vraies vacances, mais qui me parlait surtout de ses bonheurs de libraire, et notamment de ses rencontres avec les nombreux écrivains et artistes invités par l’Institut français, comme Fanny Ardant (celle de « La femme d’à côté »), j’ai dit toute la reconnaissance de la communauté française et j’ai souhaité, en notre nom à tous, une excellente retraite bien méritée !
Pour mettre en valeur et rendre accessibles des œuvres, des auteurs, des artistes, le numérique peut sans doute beaucoup. Mais devant la vitrine d’OMEISHA jetant ses derniers feux et qui venait pour une ultime fois de déclencher rencontres improbables et retrouvailles inattendues, une évidence s’imposait : rien ne vaut décidément d’être présents, ensemble, dans un même endroit réel.
Ce soir-là et jusqu’à l’instant de la fermeture définitive, ce 28 février 2022 à 18h38, nous étions deux Français, un jeune professeur d’université et moi-même, parmi la petite foule qui continua à applaudir longuement devant le rideau de fer baissé. À la fin, quelqu’un cria « Merci ! »
Merci à la librairie OMEISHA !
Merci et longue vie, cher M. Okuyama !
FLT-Fapée : l'association des familles du LFI Tokyo